Accessibilité : notre enquête
Cette année, la Ligue Braille consacre sa traditionnelle semaine de sensibilisation aux canaux de communication et d’information utilisés par les personnes aveugles et malvoyantes. Enquête à l’appui, nous plaidons pour plus d’accessibilité, dans la vraie vie et en ligne !
Dans un monde où le digital est incontournable et où tout ou presque repose sur le visuel, comment les personnes aveugles et malvoyantes font-elles pour être tenues au courant de ce qui se passe autour d’elles, dans le monde et pour interagir avec leurs proches, les services et les autorités ? Nous avons mené l’enquête avec AQ Rate et interrogé 525 personnes aveugles et malvoyantes dans toute la Belgique. Étudiants, actifs, chercheurs d’emploi ou retraités, ils nous détaillent les outils utilisés, les obstacles et ce qu’il reste à améliorer.
Accès limité aux informations
L’état des lieux est sans appel : 89 % des sondés ont l’impression que leur handicap visuel leur fait manquer des informations. Particulièrement les femmes, les moins de 34 ans et les plus de 55 ans. Quelles sont ces infos manquées ? 77 % nous parlent des affiches et des panneaux (annonces d’évènements culturels, plans, signalisations, annonces des retards dans une gare, promotions dans les allées des magasins, etc.). 63 % citent la presse et les médias (par exemple, un reportage télévisé dans lequel les déclarations dans une langue étrangère ne sont plus doublées mais sous-titrées). 62 % disent manquer ces informations durant leurs interactions sociales (la communication non verbale), 19 % au travail, 11 % à l’école et 3 % dans les transports en commun (quand il n’y a pas d’alternative audio pour connaître le nom des arrêts ou la destination du véhicule). Bien sûr, manquer ces informations génère des sentiments désagréables : perte d’autonomie et d’indépendance (82 %), frustration et stress (63 %) et limitation des interactions sociales (57 %). Cette sensation de manquer des informations est également vécue dans la vie numérique. Près de 9 personnes aveugles et malvoyantes sur 10 utilisent régulièrement les outils de communication tels que des applications, des messageries ou les réseaux sociaux. Pour ce faire, ils s’aident d’outils adaptés à leur handicap visuel. Au quotidien, les plus utilisés sont l’agrandissement (cité par 43 % des sondés), 37 % préfèrent l’audio (dont plus de la moitié des moins de 34 ans) et 8,4 % utilisent le braille (quand les documents sont disponibles en braille, ce qui est rare). Bien entendu, ces outils peuvent être combinés, ainsi 23 % utilisent l’agrandissement et l’audio et 13 % combinent le braille et l’audio.
Sur l’ordinateur, le braille est préféré à l’audio lors d’édition de textes (49 %) lors de la lecture de documents complexes (47 %) ou lorsqu’il y a des tableaux ou des graphiques (28 %). L’audio a l’avantage de permettre de faire plusieurs choses en même temps et est plébiscité par 68 % des sondés qui utilisent un ordinateur, 77 % pour ceux qui sont sur smartphone. Au final, 4 % n’utilisent aucune de ces aides. Malgré leur utilisation généralisée, ces aides posent problème à 71 % des sondés. C’est particulièrement le cas pour les braillistes occasionnels et les moins de 34 ans. L’agrandissement, qui est la plus utilisée, a ses limites puisqu’elle ne permet pas de vue d’ensemble du document et n’est utile qu’aux personnes malvoyantes. Les personnes aveugles, quant à elles, préfèrent l’audio. C’est le cas d’Alexandre, avocat et brailliste occasionnel. « Au travail, j’utilise 2 logiciels audio : Jaws et Kurzweil 1000. Je ne les combine pas avec le braille pour une question de temps. J’ai appris le braille très tard, je n’en ai donc pas une utilisation efficace et je trouve plus pertinent et rapide de maitriser un programme informatique. C’est très personnel et cela n’engage évidemment que moi ». 60 % des sondés qui utilisent le braille et/ou l’audio rencontrent des soucis lorsqu’ils souhaitent accéder à des contenus numériques avec leurs logiciels adaptés ou leur barrette braille. Enfin, les obstacles les plus courants sur les sites et applications sont liés au manque d’accessibilité (impossibilité d’ajuster les contrastes, la taille de la police, absence de contenus alternatifs tels que les descriptions de photos ou de graphiques, absence de support braille et audio, sites non adaptés à la technologie vocale, etc.). Dernier écueil, l’installation des logiciels spécifiques comme ZoomText (agrandissement) ou Jaws (audio). S’il n’y pas de souci pour les installer sur un ordinateur privé, c’est souvent une autre paire de manches avec l’ordinateur ou le portable de l’entreprise. « Certains employeurs refusent ou mettent du temps à se décider. Cela dépend des techniciens IT et de la configuration du réseau de l’entreprise (s’il est en local ou pas). C’est une vraie contrainte, parce que cela pose des questions de sécurité informatique et qu’ils ne sont pas sensibilisés au handicap visuel », explique Alexandre Gérard, conseiller en adaptations techniques à la Ligue Braille.
Nos sondés attribuent la note moyenne de 5,6/10 à la qualité des contenus accessibles en digital. 43 % des sondés infligent une note inférieure à 5/10. L’Acte européen sur l’accessibilité entrera en vigueur ce 28 juin et imposera que les smartphones, bornes, tablettes, ordinateurs, distributeurs d’argent, etc. soient accessibles à toutes et tous (c’est, en théorie, obligatoire pour les apps et sites des services publics depuis 2021). En juin 2024, Craftzing, une société de conseil numérique, a épluché plus de 7 000 sites belges pour évaluer leur accessibilité. Seuls 6 % l’étaient ! Stéphane, aveugle de naissance, déplore des reculs dans l’accessibilité : « De très nombreuses applications et sites ne sont plus accessibles alors qu’ils l’étaient avant. Les mises à jour, assez fréquentes, provoquent des bugs. J’ai le même souci avec l’application de mon supermarché pour mes courses en ligne. Avant ça fonctionnait, mais plus maintenant. Au final, j’ai passé commande par téléphone, moyennant le paiement d’un supplément de 20 euros. C’est complètement injuste et très frustrant ».
Et le braille ?
200 ans après son invention par Louis Braille, nous avions à cœur de savoir combien de personnes aveugles et malvoyantes utilisent ce système d’écriture. Résultat, 27 % de nos sondés le connaissent. Dans le détail, 69 % des personnes aveugles et 14 % des malvoyants connaissent le braille. 45 % des braillistes l’utilisent tous les jours. 12 % des sondés l’utilisent souvent. Plus de la moitié des braillistes en ont donc un usage fréquent. « Pour la plupart des gens, 27 % est probablement perçu comme un taux assez faible », explique Marie-Jeanne Nachtergaele, cheffe des Services accompagnement et loisirs néerlandophones. « Ce chiffre me semble réaliste car, dans les faits, il y a bien plus de personnes malvoyantes qu’aveugles et les personnes malvoyantes n’ont pas besoin d’utiliser le braille. Elles pourront toujours lire et écrire avec leur résidu visuel, en utilisant un logiciel d’agrandissement ou une loupe. Cela dit, l’apprentissage du braille est une valeur ajoutée pour une personne gravement malvoyante ou aveugle, car il accroît considérablement son autonomie. Le braille est à ce jour le seul système de lecture et d’écriture pour ces personnes. L’orthographe, la ponctuation, la syntaxe et la construction d’une phrase restent des connaissances nécessaires pour être autonome, dans la vie quotidienne ou professionnelle ».
Un atout, d’autant que les nouvelles technologies ont pu intégrer le braille. Grâce à la barrette braille ou la Canute, il est possible de lire et rédiger des textes, des mails sur un ordinateur, un smartphone ou une tablette. Les grandes marques de smartphones ont développé leurs applications accessibles (VoiceOver ou TalkBack, par exemple) et permettent aussi d’écrire des messages en braille, même sur un écran. Selon notre enquête, le braille digital est utilisé quotidiennement par 8,4 % des sondés.
Précieux guichets
Lorsqu’elles se déplacent seules, les personnes aveugles et malvoyantes peuvent compter sur certains aménagements qui leurs sont destinés. En rue ou dans l’espace public, elles peuvent s’orienter grâce aux lignes guides et aux dalles podotactiles, jugées importantes ou très importantes par 68 % des sondés. Les panneaux en braille et les maquettes 3D récoltent 48 % d’avis positifs.
Mais l’assistance la plus importante dans l’espace public reste (et de loin) l’humain. 85 % des sondés trouvent très important ou important de pouvoir compter sur la présence d’un accompagnateur ou d’une assistance. Les femmes, les plus de 55 ans et les personnes aveugles surtout. Alors que les bornes et les caisses automatiques foisonnent, les sondés trouvent très important (72 %) et important (24 %) d’avoir accès à un guichet et à du personnel dans les lieux publics. 85 % font d’ailleurs régulièrement usage de ce service en voie de disparition (surtout les actifs, les femmes et les 35–54 ans).
La disponibilité et la serviabilité du personnel sont jugées excellentes par 11 % des sondés, bonnes pour 38 %, satisfaisantes pour 33 %. Soit 82 % d’avis positifs. Les personnes aveugles et malvoyantes attendent de ces services qu’ils leur fournissent des conseils et de l’information (72 %), qu’ils les orientent correctement vers les bons endroits (71 %), qu’ils leur fournissent une aide au remplissage des formulaires (70%), une aide à l’achat des billets ou à l’organisation (40 %).
Les écrans tactiles, une technologie problématique
Terminaux de paiement, menus et instructions via QR Code et bornes d’information fonctionnent de plus en plus avec des écrans tactiles. Un obstacle pour de nombreuses personnes aveugles et malvoyantes, privées des repères qui apparaissaient sur les touches des claviers d’avant.
Le terminal de paiement et le distributeur de cash à écran tactile posent problème à 53 % des sondés. Au moment de régler, 41 % des sondés essaient de taper leur code malgré tout. 34 % reviennent avec un proche pour payer en toute sécurité, 18 % donnent leur code au commerçant ou à leur accompagnateur, 16 % abandonnent leur projet d’achat, 2 % utilisent Apple Pay ou Payconiq et 1% du liquide. « Je me sens pris au piège » explique Samy, un jeune malvoyant. « Les distributeurs sont de plus en plus rares à Bruxelles et ces terminaux ne m’inspirent pas confiance ». L’Acte européen sur l’accessibilité prévoit également de rendre ces terminaux parfaitement accessibles, dès ce 28 juin. Passé cette date, les nouveaux modèles mis sur le marché devront l’être, mais les boitiers tactiles déjà en service pourront rester. Et la durée de vie d’un boitier tactile peut atteindre 20 ans ! « C’est donc important d’avoir des alternatives », explique Julien Rolin, chef du Service d’information sur les adaptations techniques, « payer avec un smartphone, par exemple, est une option qui permet de rester autonome, mais ça nécessite un certain apprentissage. Nous le prodiguons à la Ligue Braille ».
Les personnes aveugles et malvoyantes ne peuvent pas toujours compter sur un accompagnateur ou sur l’intervention d’un passant bienveillant pour composer leur code secret, demander leur chemin ou effectuer une réservation. L’autonomie, nous y tenons, c’est la possibilité de faire seul, ces gestes quotidiens. Le numérique et l’intelligence artificielle redistribuent les cartes, mais pas toujours de façon équitable. Il n’est pas tolérable qu’en 2025, des personnes aveugles ou malvoyantes abandonnent leurs achats à la caisse parce que le mode de paiement n’est pas accessible. Ni qu’ils confient le code secret de leur carte bancaire à un inconnu. Heureusement, les solutions sans contact ouvrent de nouvelles perspectives, à condition d’avoir les bons outils et de les maitriser. Parce que toutes les personnes aveugles et malvoyantes ont le droit de communiquer et s’informer, la Ligue Braille s’engage chaque
jour à rendre l’information et la communication accessibles à tous. Que ce soit via l’apprentissage du braille, l’adaptation des jeux et des livres en braille, en grands caractères ou en audio, la création de plans ou de maquettes en 3D, l’adaptation du poste de travail ou l’apprentissage des smartphones et tablettes, nous fournissons outils et savoir-faire pour que l’autonomie soit garantie pour tous et toutes, quel que soit leur âge. Aidez-nous à permettre aux personnes aveugles et malvoyantes de rester à la page et connectées ! Faites un don sur le compte BE11 0000 0000 4848 avec la mention « SLB 2025 ». Chaque don d’au moins 40 euros donne droit à une attestation fiscale. MERCI !
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