Emploi

Travailler est un droit

Publié le 03 octobre 2024

Selon notre enquête sur la vie sociale, 21 % de nos sondés travaillent. 72 % de ces actifs sont employés, 14 % sont cadres ou exercent une profession libérale, 12 % sont ouvriers et 2% autre. Découvrons ce qui les occupe !  

Le Service public

Depuis plus de 20 ans, le Service public doit respecter des quotas de travailleurs en situation de handicap. Dans la fonction publique fédérale, par exemple, ce quota est fixé à 3 %, il était de 1,09 % en 2022 et 1,40 % en 2023. Comment expliquer qu’on n’y arrive toujours pas ? Selon Christelle Magniette, Responsable des Services Emploi et Formation de la Ligue Braille, « le Service public impose des conditions et un examen d’entrée qui peuvent être décourageants.  Par exemple, l’obligation de disposer du CESS ferme la porte à beaucoup ». 

Oljan Mapreni est malvoyant depuis la naissance, il a étudié le droit à l’ULB et est coordinateur inclusion au SPF Sécurité sociale. « En Belgique, il n’y a pas de sanctions si les quotas ne sont pas respectés. Il faut montrer l’exemple. Prouver que c’est possible et quand ce sera fait, nous pourrons demander au privé d’en faire autant. Avec un bon accompagnement, c’est possible ». Oljan Mapreni est chargé d’améliorer le recrutement des personnes en situation de handicap. « Je fais passer des entretiens d’embauche aux candidats en situation de handicap qui désirent intégrer l’administration. Lors de ces entretiens, presque tous me disent être prêts à en faire davantage que ce qui est demandé ou à aller au-delà de leurs ressources. Et on constate qu’ils le font bel et bien une fois recrutés. La personne en situation de handicap a tendance à penser qu’elle a quelque chose à prouver. Parfois au point de ne plus avoir l’énergie de tisser d’autres liens sociaux après sa journée ». 

Olivier vient d’intégrer le Service public fédéral comme agent administratif. Avant, il travaillait dans la programmation statistique d’une entreprise privée. Milieu de la trentaine, le diagnostic tombe : maladie de Stargardt. Il quitte son emploi et commence le deuil de sa vue et sa vie d’avant. Olivier veut travailler. Il réussit le test de recrutement du Selor et peut choisir son département. « Malheureusement, j’ai été assez mal orienté, je n’ai pas été averti des difficultés propres à chaque département. Quand je suis arrivé, personne ne savait que j’étais malvoyant, rien n’était prévu ». Après 3 mois inconfortables pour Olivier comme pour son employeur, un expert de la Ligue Braille se rend sur place. « Il a listé et expliqué ce qui n’allait pas : la lumière, le positionnement de mon bureau, mes besoins en terme de matériel, etc. Le fait que quelqu’un de la Ligue Braille le fasse rendait ma demande légitime. Je demande juste qu’on comprenne que ce n’est pas évident. Engager des personnes en situation de handicap est une bonne chose, mais il faut surtout pouvoir leur permettre de travailler dans de bonnes conditions. Je peux le faire, si on adapte mon environnement de travail. Sinon, ça crée une injustice structurelle. Il faut encore améliorer les choses, mais je suis heureux d’avoir pu réorienter ma carrière et retravailler ».

Le privé

Contrairement au secteur public, le privé n’a aucune obligation de recruter des personnes en situation de handicap. Petites ou grandes, les entreprises ont pourtant tout intérêt à le faire. Selon une enquête Acerta, 0,27 % des travailleurs du privé sont en situation de handicap physique ou mental, soit une hausse de presque 15 % entre 2022 et 2023. « Pour sortir gagnantes 
de la guerre des talents, les entreprises misent de plus en plus sur la diversité. Elles ne peuvent plus se permettre de laisser des talents inexploités sur le carreau », commente le spécialiste RH. 

Djamel a suivi la formation de base du Centre de Formation Professionnelle de la Ligue Braille. Suivi par un jobcoach, il a décroché en 2022 un Contrat d’Adaptation Professionnelle chez Rob. Il a ensuite signé un CDD et, en juin dernier, un CDI. « Je travaille au rayon boulangerie-pâtisserie où j’effectue l’étiquetage et la mise en rayon. Avant, je travaillais dans l’Horeca mais mes problèmes de vue ne m’ont pas permis de continuer. À l’époque, j’imaginais ne plus jamais pouvoir travailler. La Ligue Braille m’a non seulement permis de reprendre espoir, de me réorienter professionnellement mais aussi de faire de belles rencontres. Je suis très reconnaissant ».

Mickael a 46 ans et est responsable du service après-vente d’un magasin de meubles. Avant, il était responsable d’un magasin pour animaux. Atteint de la maladie de Stargardt diagnostiquée à 33 ans, il a choisi de se réorienter et d’aménager son quotidien. « Après 2 ou 3 ans sans travail, j’ai suivi une formation. Je me posais 1 000 questions. À quoi sert-on dans ce monde où tout va à 100 à l’heure ? Quel exemple suis-je pour mes enfants ? Vais-je trouver un emploi ? Travailler permet de se sentir existant et d’avoir des contacts sociaux. Après ma formation, j’ai cherché un job dans ma région, pour pourvoir passer du temps avec mes enfants et ne pas perdre trop de temps dans les transports en commun. Pour compenser ma baisse de vision, j’utilise une TV-loupe et un logiciel d’agrandissement. La relation avec mes collègues se passe très bien. Je suis totalement intégré dans l’équipe ».

Et les indépendants ?

Fonctionnaire ou salarié ne sont pas les seuls statuts possibles. En effet, les personnes aveugles ou malvoyantes peuvent également devenir free-lance. En 2023, la Ligue Braille a accompagné 5 personnes qui se sont lancées. Ils ou elles sont interprète, psychiatre, ostéopathe, architecte ou ergothérapeute à leur compte. Pauline Berteau, jobcoach, « pour ces suivis, nous avons peu de difficultés. Les bénéficiaires sont assez indépendants dans leurs démarches, nous assurons davantage un accompagnement d’écoute et de mise en place de leur projet. Nous les orientons aussi vers les aides possibles, comme les aides spécifiques du PHARE (prime d’installation) ou de l’AVIQ (Prime aux travailleurs indépendants). Dans le cas de la dame qui est interprète à la Commission européenne, la principale difficulté a été l’accessibilité des tests spécifiques et des livres de préparation à l’examen qui n’existaient pas en braille. Nous avons réalisé cette transcription de façon assez urgente ».

Cédric, 43 ans, malvoyant de naissance, vient de se lancer comme masseur indépendant. À la base, il a un diplôme d’éducateur spécialisé en accompagnement psycho-éducatif mais « malgré mes stages positifs, la réalité du terrain lors des entretiens d’embauche était différente. On me reprochait de ne pas avoir le permis de conduire et de ne pas voir assez loin pour surveiller dans la cour de récréation. J’ai vite baissé les bras. En 2020, à la suite d’une dépression liée à une grosse baisse de vision, j’ai suivi une thérapie, travaillé sur moi, sur ce que je voulais et où je voulais aller ». Cédric renonce à devenir éducateur et décide de lancer son propre projet. Il suit des formations de masseur et de gestion et devient masseur indépendant dans un cabinet. « Ce qui m’a aidé à faire le grand saut, c’est que le gouvernement a adopté un décret qui permet d’être assimilé à un indépendant complémentaire en gardant son allocation, pour débuter. C’est une sécurité financière et une grande avancée afin d’encourager les personnes porteuses d’un handicap à rentrer dans le monde du travail ou/et à entreprendre ». Aujourd’hui, Cédric prodigue des massages dans son cabinet « Le temple d’ose », à Andenne. « Ma malvoyance n’est pas vraiment un obstacle, sauf peut-être au niveau communication : avoir son entreprise demande de réaliser un plan, des supports visuels et des vidéos. J’ai fait le choix de parler ouvertement de mon handicap, avec une touche d’humour : étant malvoyant, mes clients peuvent se mettre à nu dans tous les sens du terme ! J’espère sensibiliser le grand public au fait que, malgré l’adversité, tout le monde peut réussir ».

Eline (26 ans) et Jean (55 ans) sont juristes de formation et travaillent au Conseil du Contentieux des Etrangers. Malgré l’évolution de sa rétinite pigmentaire et de sa vision tubulaire, Eline épluche les dossiers et rédige les jugements en tant qu’attachée au contentieux. Elle est en quelque sorte le bras droit du juge. Jean a des taches sur la macula. Sa vision est de 1/10 à l’œil gauche et 1/20 au droit. D’abord juriste, il est entré dans l’administration en 2002. Depuis plusieurs années, il s’occupe de la communication et travaille au secrétariat du premier président.

Un emploi dans le secteur public convient-il mieux aux personnes en situation de handicap visuel ?

E: Les longues heures de travail en tant qu’avocate et le fait d’être constamment à l’écoute est épuisant, c’est pourquoi j’ai délibérément commencé à chercher un emploi « de neuf à cinq », où la flexibilité, le 4/5e et le télétravail étaient possibles. Lors des tests d’embauche, vous pouvez demander des ajustements raisonnables, alors que dans le secteur privé, vous devez immédiatement détailler votre handicap pour justifier que vous ayez besoin de plus de temps. 

J: Je suis heureux d’avoir pu évoluer dans un travail où je ne suis pas obligé d’écrire toute la journée, ce qui est fatiguant pour mes yeux. Je me sens libre d’organiser mes projets et j’ai la possibilité d’organiser mon temps. Par exemple, j’ai participé à des activités de la Ligue Braille en journée, comme le cours de cuisine.

Quelles aides utilisez-vous ?

J: J’accomplis ma journée de travail sans trop d’outils. J’ai des lunettes de lecture, un grand écran et j’utilise l’agrandissement et les modalités d’accessibilité offertes par Windows (gros caractères, contrastes). Et mon monoculaire, bien sûr, qui est mon troisième œil.

E: L’agrandissement est trop fatigant pour moi, je ne l’utilise que pour m’orienter sur mon écran, installé de façon à ce que je puisse le tourner près de mon visage. Je travaille principalement avec la synthèse vocale. J’utilise parfois ma barrette braille pour vérifier l’orthographe. Je ne peux pas lire les dossiers papier et les notes manuscrites, je dois demander de l’aide pour les scanner. C’est embêtant de devoir déranger les collègues, mais ils sont tous compréhensifs et heureux d’aider. Heureusement, il y a le dossier numérique depuis peu, même si nous devons encore voir avec les informaticiens comment il sera accessible avec mon logiciel de synthèse vocale. Une fois que tout est en place et fonctionne, je peux écrire assez facilement et efficacement. Mon responsable est également très ouvert aux besoins spécifiques des malvoyants. Récemment, il a veillé à ce que des étiquettes en braille soient posées sur les poubelles.

Quels sont les obstacles auxquels vous êtes confrontés ?

E: La mobilité. La réforme de De Lijn a supprimé mon bus et le flexbus 
(NDLR : le service de remplacement) s’avère peu fiable pour les trajets domicile-travail. Je l’ai testé deux fois et à chaque fois, il est arrivé avec une heure de retard. De plus, l’application Hoppin pour réserver ce bus n’est pas accessible. Je dois donc improviser : mon mari m’emmène à la gare. Je peux y aller à pied, mais c’est très fatigant. Nous avons acheté notre maison en supposant qu’il y avait un arrêt de bus à côté (soupir). S’il n’y a vraiment pas d’autre solution, je prends un taxi, mais ce n’est évidemment pas un choix durable. La gare de Lier est également difficile d’accès, il n’y a pas de dalles podotactiles, par exemple. Je connais mon trajet, mais lorsque quelque chose ne va pas, comme un changement de voie, cela rend la journée encore plus difficile. D’un autre côté, ne pas travailler et rester à la maison toute la journée ne me conviendrait pas non plus. On s’isole, vu que tous les amis travaillent.

J: Nous choisissons également notre mode de vie en fonction des transports publics, c’est pourquoi je vis à Bruxelles où je peux facilement prendre le tram. Même s’il faut parfois éviter des trottinettes. Ce qui me joue souvent des tours : Je semble très sociable, mais les autres sont interloqués quand je ne les reconnais pas ou que je ne réagis pas. Les gens oublient souvent que l’on ne peut pas voir quelque chose correctement, il faut souvent le leur rappeler. Il n’est pas non plus évident de le répéter sans arrêt.

E: Je remarque que s’il y a des tâches supplémentaires ou si quelque chose doit être pris en charge, les collègues ne viennent pas facilement me le demander. Peut-être parce qu’ils pensent que ce n’est pas faisable pour moi ou pour des raisons pratiques. Je devrais peut-être dire davantage que je veux aussi accomplir ces tâches.

J: Oui, c’est important à tout âge : nous avons vraiment besoin de nous prendre en main, tracer notre voie et d’exprimer ce dont nous avons besoin. Pour ma part, ma philosophie de vie est : tout s’arrangera. Il faut oser poser des questions et faire confiance aux gens, parfois on n’a pas le choix.

Le soutien de la Ligue Braille a-t-il été utile ?

E: Oui. On s’aperçoit que l’on fait vraiment plus de choses avec un jobcoach que seul. Le fait d’avoir un point de contact pour l’employeur a facilité les choses lorsque j’ai été embauchée, parce qu’elle a coordonné la demande d’aides, mon écran, ma barrette braille, etc. Tout était là pour mon premier jour.

J: J’ai commencé à faire du bénévolat à la Ligue Braille et c’est grâce à cela que j’ai découvert que la reconnaissance de mon handicap n’était pas tout à fait correcte. Le service social de la Ligue Braille m’a alors guidé, pour obtenir la juste reconnaissance.

Hilde (48 ans) est assistante administrative au Centrum voor Basiseducatie à Anvers. Dans sa vingtaine, elle a perdu la vision centrale de son œil gauche à la suite d’une hémorragie rétinienne. Après une opération de la cataracte, elle a développé d’autres problèmes : photophobie (difficulté à supporter la lumière), photopsie (éclats de lumière) et difficulté à rester concentrée. Malgré cela, elle a pu rester chez son employeur à un autre poste, dans un environnement de travail modifié.

Quel a été l’impact de votre déficience visuelle ?

J’avais un emploi très stimulant et varié, avec beaucoup de travail sur plusieurs écrans et applications simultanées. Un travail visuellement éprouvant, mais indispensable pour le service.. J’en demandais trop, mais il m’était difficile d’abandonner ou d’admettre l’échec. Je travaillais presque exclusivement à domicile parce qu’il n’y avait pas d’espace approprié au travail, mais aussi parce que je devais faire des pauses très souvent. Sur le plan mental, c’était également difficile parce que je m’y sentais seule et que les collègues et la vie de bureau me manquaient. En outre, j’avais de violents maux de tête, j’étais souvent nauséeuse et très fatiguée, ce qui impactait ma vie sociale. Je me sentais en échec partout : à la maison, au travail, vis-à-vis de ma famille, de mes amis et de moi-même. J’ai aussi remarqué que, de plus en plus, je méjugeais, je percevais mal les choses et manquais de confiance en moi. J’étais régulièrement malade, ce qui augmentait mon stress. Après un certain temps d’absence, il m’a fallu beaucoup de courage et d’énergie pour faire en sorte qu’il soit à nouveau possible de travailler.

Y a-t-il eu de la compréhension au travail ?

Comme je travaille ici depuis un certain temps, les gens me connaissent. J’ai toujours pris mon travail très au sérieux. Heureusement, ils ont compris que j’avais besoin d’un peu de temps pour réfléchir à la suite. Lorsque j’ai indiqué qu’il n’était plus possible de reprendre mon ancien poste, ils se sont montrés ouverts à la recherche de solutions. J’ai pu expliquer ce qui était faisable et ce qui ne l’était pas et j’ai reçu une proposition qui correspondait parfaitement à mes qualités et mes talents et une solution très intéressante pour mon lieu de travail. Cette solution n’était pas évidente et j’en suis extrêmement reconnaissante. Mes collègues sont très compréhensifs, ils me demandent s’il faut éteindre la lumière, s’il vaut mieux que je m’assoie à un autre endroit, près de la fenêtre, si les documents sont lisibles... et ils me redonnent le sentiment d’être à ma place. Je me considère comme chanceuse.

Les aides techniques offrent-elles une solution ?

Avec mes lunettes aux verres et monture personnalisés, il était évident, pour qui me rencontrait, que j’avais des problèmes de vue. Mais le confort était tel que je l’ai vite accepté. Je travaille désormais dans une pièce totalement obscure, ce qui me permet de faire du travail sur écran de manière moins éprouvante. J’utilise également 2 paires de lunettes adaptées avec filtres médicaux, une tablette et un écran tactile extra-larges, des lampes lumière du jour, des claviers avec de grandes lettres et un rétro-éclairage réglable. Résultat : j’ai beaucoup moins de maux de tête et je peux sortir. Je revois mes collègues et je participe à nouveau à la vie professionnelle. Et si je dose bien, j’ai à nouveau de l’énergie pour faire d’autres choses amusantes.

Comment la Ligue Braille vous a-t-elle aidée ?

À un moment où je ne voyais pas les alternatives et les possibilités et où j’étais à bout, plusieurs thérapeutes de la Ligue Braille m’ont aidée à comprendre mon handicap et à trouver des solutions pour qu’il soit à nouveau possible de travailler. Cien (responsable du département Werk+) m’a toujours donné un coup de pouce lorsque je perdais espoir. Elle a supervisé la demande d’aide, contacté mon employeur pour lui expliquer les procédures et soutenir les aménagements nécessaires. Dorien, la thérapeute était très à l’écoute et m’a orientée vers un bon psychologue. Le jobcoach Jan m’a appris à utiliser les raccourcis et les paramètres d’accessibilité de mon ordinateur. J’ai tellement gagné en qualité de vie grâce à la Ligue Braille ! Tant dans la vie privée qu’au travail, c’est le jour et la nuit. Je leur suis donc extrêmement reconnaissante !

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